Mission d’entreprise 2017-2021


SKaGeN recherche, à travers ses projets artistiques et sociaux, les zones frontalières entre la civilisation et la barbarie, à la lumière de cinq caractéristiques sociétales: l’argent, la religion, la guerre, la politique et les idées nouvelles.

C’est un grand défi pour une compagnie de théâtre dotée d’une longue et riche histoire, de continuer à soulever des débats ou de jouer le rôle de précurseur dans des discussions qui touchent aux thèmes sociaux. SKaGeN estime qu’il s’agit là d’une de ses principales missions et jauge dès lors constamment ses contenus et ses contributions artistiques. La compagnie ne craint pas la polémique.

SKaGeN ne réalise pas uniquement des choix en termes de contenu et de forme, relatifs à la diversité sociale et culturelle, mais SkaGeN pose aussi des actes concrets. La compagnie investit dès lors du temps et des moyens dans des projets socio-artistiques durables.

Le collectif d’acteurs SkaGeN, depuis sa création, a toujours veillé à exploiter un champ qui soit le plus large possible et à permettre tous les styles; aucun genre n’est trop mineur. La philosophie: chaque projet repose sur une liberté totale dans le choix de la forme et du genre et c’est ce qui renforce notre contenu. C’est aussi ce qui explique que parfois, aux yeux du monde extérieur, la compagnie semble incompréhensible, toutefois elle est capable de toujours surprendre. 18 ans plus tard, les membres choisissent toujours unanimement la plus grande flexibilité possible. Car elle garantit une bulle d’oxygène au niveau artistique et du contenu. Le choix de créer des œuvres socio-artistiques, parallèlement à notre parcours régulier, s’inscrit dans cette philosophie. La compagnie ne veut pas rouiller, se reposer sur son passé.


Citation extraite du dossier de demande 2017-2021


On est si étourdi qu'on part au combat sereinement, sans larmes et sans peur, et pourtant on sait pertinemment bien qu'on marche vers un enfer certain.’

Cette phrase d'un soldat danois de l'armée allemande parlait de la première guerre mondiale. Valentijn Dhaenens l'avait prononcée dans son monologue De Kleine Oorlog/Bigmouth (création 2013).


Cette phrase fait aussi songer à l'époque à laquelle nous vivons. L'accumulation de crises et de conflits européens et mondiaux, qu'ils soient économiques ou idéologiques, annoncerait-elle l'effondrement de notre monde ? L'économie européenne va-t-elle péricliter? Allons-nous être submergés par les vagues de réfugiés? Les valeurs occidentales - les Lumières, la Révolution française, les Droits de l'homme, notre héritage, notre culture, notre idéal social – sont-elles mises sous pression? Le roman de Michel Houellebecq, Soumission, est-il prophétique?

Non, pensons-nous, il n'en sera pas ainsi. Nous avons notre économie du savoir. Et nos valeurs sont dominantes. Quiconque entre en contact avec nous, finit tôt ou tard par les adopter?

Nous nous réfugions dans nos zones quotidiennes de plaisir tels que la consommation, l'argent, et la justification idéologique. Nous tâchons de consolider nos frontières, au nom de notre culture. Nous menons la lutte contre l'atteinte, contre la perte (de notre argent, notre idéologie, notre civilisation). Tâchons de maintenir la barbarie à distance. Nous, nous ne tranchons pas les têtes, nous ne détruisons pas le patrimoine mondial. Nous sommes civilisés.

Pourtant nous sommes incertains. Qu’est-ce que la civilisation au juste? Notre histoire a-t-elle débouché sur la décadence, comme l’avait dit Nietzsche? Avons-nous perdu des idéaux et de la force dans notre ascension vers l’argent et le confort? Notre tradition (la bonne vie saine d’antan au sein d’une communauté) s’est-elle détériorée? Devons-nous à nouveau brandir une image de l’humanité qui nous élève moralement, comme aux jours de gloire de l’Empire romain, de la Chrétienté, ou peut-être de l’Islam aujourd’hui? L’Occident a-t-il définitivement entamé son déclin? Dans son essai ‘Les Barbares’, Alessandro Baricco décrit comment notre Culture avec un C majuscule a basculé en une culture avec un c minuscule, sous l’effet de la démocratisation et la commercialisation. Quid d’une démocratie dans un monde où le pouvoir est en définitive entre les mains du marché? Quid des rapports intra-européens et que racontent-ils sur notre civilisation? Quid des corps des noyés le long de nos côtes? Et comment réagir face à des messages de décapitation, de torches humaines, de destruction du patrimoine, de tortures?

La civilisation va-t-elle de pair avec une forme particulière d’éthique?

Quel argent finance la civilisation? Au prix de quelles guerres? Comment une civilisation se protège-t-elle contre l’effritement et la décadence? Que faut-il pour élever les murs de la forteresse de la civilisation? La barbarie est-elle inhérente à la civilisation? Où se trouve, dans notre propre cœur, la ligne de démarcation entre l’être barbare et l’être civilisé?

En outre: ne doit-on pas, si telle est notre décision, continuer à propager notre civilisation? Est-ce là ce que le rôle de pionnier a toujours signifié? Que signifie le rôle de pionnier? A quoi attribue-t-on de la valeur dans notre société, que veut-on diffuser? Jusqu’où voulons-nous aller, littéralement aussi? Irons-nous un jour déposer le patrimoine de l’humanité sur la planète Mars? Que doit-on au juste sauver, défendre? On ne va tout de même pas simplement s’avouer vaincus? ‘N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit; Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour; Rage, rage encore, lorsque meurt la lumière’, écrivait Dylan Thomas.

Lors de ses précédents projets, SKaGeN abordait le fait que les années grasses de notre société sont finies et que nous vivons une période de transition.

Aujourd’hui, SKaGeN veut aller plus loin et analyser cette transition pour savoir ce qui la compose. Pour comprendre les voies vers lesquelles on pourrait peut-être se diriger (une montagne d’argent, une idéologie ou religion nouvelle ou retrouvée, une autre planète?), nous nous penchons sur l’état de santé actuel de notre monde. Des problèmes urgents reposent sur les piliers de notre civilisation. Notre perspective de la situation consiste à chercher cette zone frontalière entre la barbarie et la civilisation. Quelles sont les limites et les caractéristiques de ces deux concepts?